Le Sénat français a interrogé jeudi 8 juin deux dirigeants français de TikTok qui ont admis à plusieurs reprises qu’ils n’étaient pas en mesure de répondre aux questions, le président de l’enquête affirmant que cela soulevait des soupçons de malhonnêteté.
La commission d’enquête créée en mars enquête sur l’utilisation de la plate-forme de médias sociaux TikTok, son exploitation des données et sa stratégie d’influence pour faire la lumière sur la popularité généralisée de l’application dans le pays.
Les mineurs français passent en moyenne 107 minutes par jour sur l’application. De plus, de nombreux États d’Amérique du Nord et d’Europe ont interdit son utilisation sur l’équipement de travail des agents en raison de préoccupations concernant l’utilisation et le traitement des données.
Liens avec le gouvernement chinois
Claude Malhuret (Les Indépendants, république & territoire, centre-droit), rapporteur de la commission d’enquête, a concentré ses questions sur les liens de TikTok avec le gouvernement chinois.
Il a rappelé la structure juridique de la société, qui est finalement détenue par Xiamen Xingchen Qidian Technology (XXQT) et dirigée par un directeur général du Parti communiste chinois. Le dirigeant en question est originaire de la ville de Xiamen, où l’actuel président Xi Jinping était maire dans les années 1980 et 1990.
Eric Garandeau, le directeur des relations publiques de TikTok en France, n’a pas pu répondre aux questions sur le sujet, se disant « loin de son rôle opérationnel ».
Malhuret s’étonne alors que la multinationale du numérique soit immatriculée au registre du commerce français sous la forme d’une société simplifiée à actionnaire unique, c’est-à-dire une société détenue à 100% par l’homme d’affaires Zhao Tian. Ce dernier est également vice-président de l’application chinoise Toutiao, filiale de Douyin (la version chinoise de TikTok).
Par conséquent, Tian, un citoyen sino-canadien, a la pleine autorité légale sur TikTok France. Cependant, suite à la décision du gouvernement chinois en 2019 d’appliquer ses lois de manière extraterritoriale, en tant que citoyen de la République populaire de Chine, Tian est légalement tenu de coopérer pleinement dans tous les domaines spécifiés par le gouvernement chinois.
Garandeau et Marlène Masure, directrice générale de TikTok pour la France, le Benelux et l’Europe du Sud, ont toutes deux juré à ce sujet qu’aucune d’elles n’avait « jamais rencontré M. Zhao Tian ».
Garandeau a tenté de clarifier la question en précisant qu’au niveau de l’organisation juridique du groupe, il existe « une séparation complète entre TikTok et les autres sociétés opérant en Chine ».
Il a ensuite expliqué que Douyin Limited était enregistrée aux îles Caïmans, un « territoire britannique » a-t-il souligné, et « détenait 100% de TikTok Limited ». Cette dernière possédait un certain nombre de filiales dont TikTok UK et sa maison mère européenne, qui possédait la filiale TikTok France.
Cette remarque n’a pas satisfait le rapporteur, qui a souligné que Douyin Limited appartenait elle-même à la mystérieuse société chinoise XXQT.
protection des mineurs
Garandeau a tenté de démontrer la conformité de l’application à la protection de la jeunesse en soulignant que l’accès était interdit à toute personne de moins de 13 ans. De plus, l’accès à certaines fonctionnalités n’est disponible qu’à partir de 15 ans (l’âge de la majorité numérique) et l’accès aux messages instantanés est interdit jusqu’à 18 ans.
Masure a également déclaré que les algorithmes de TikTok supprimaient de manière proactive les comptes soupçonnés d’être ouverts par des personnes de moins de 13 ans.
Ces affirmations n’ont pas convaincu Malhuret, qui a cité l’obligation imposée à TikTok en août de profiler les mineurs en vertu de la loi européenne sur les services numériques. Il s’est plaint que le profilage est « presque inexistant » aujourd’hui.
Incohérences dans la rhétorique
Garandeau a affirmé que la société Trust and Safety basée à Dublin « avec 40 000 employés » assure la protection des utilisateurs et de leurs données. Son collègue Masure parlait en revanche de « 100.000 salariés en Europe » mais « 1.000 à 1.500 à Dublin ».
Garandeau a tenté de rassurer l’auditoire sur le respect du règlement européen sur la protection des données (RGPD) et sur les contenus illégaux en ligne (DSA). Il a évoqué un « centre de données en construction » en Norvège et a déclaré que la technologie ne serait pas basée sur les nuages américains.
Masure a démenti cela, affirmant que ce centre de données reposerait sans doute sur les solutions Amazon Web Services, Microsoft Azure ou Google Cloud, tous des produits américains.
Interrogée, Masure n’a pas pu répondre aux questions du sénateur André Gattolin (Rassemblements des démocrates et progressistes indépendants, centre), qui lui a demandé si elle était au courant des projets de l’entreprise.
De plus, Garandeau n’a pas pu confirmer que les ingénieurs chinois avaient accès aux données des utilisateurs européens et donc, suivant l’argument de Malhuret, l’obligation de « coopérer avec les services de renseignement chinois » existait.
Cependant, Masure a admis qu’à sa connaissance, il y avait un cas où un ingénieur chinois, « le seul exemple que j’ai eu jusqu’à présent », est intervenu pour corriger l’erreur de compteur d’images d’une vidéo.
Prochaines étapes
L’enquête du Sénat devrait se terminer le 8 septembre 2023 et pourrait émettre des lignes directrices pour la réglementation appropriée de TikTok.
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