George Steiner
« Un long samedi »
Trad. : Thanos Samartzis
éd. Doma, p. 152
Wald Ettesberg, 1776. Après une courte promenade, Goethe décide de se reposer dans son chêne bien-aimé. C’est l’arbre où il a rencontré Charlotte von Stein il y a quelques années. Son nom est encore gravé sur le coffre. Il le regarde et est immédiatement perdu dans ses pensées. C’est le moment qui inspirera l’un de ses poèmes les plus célèbres. Il s’agit du « Chant nocturne du vagabond »: la prière émouvante d’un homme qui, épuisé par la dure vie, demande la paix à Dieu.
1937. Les Waffen-SS décident de construire un camp de concentration brutal à Ettesberg. Une immense zone de forêt est abattue. Des centaines d’arbres sont abattus et déracinés. Mais non, le chêne de Goethe. Elle arrête et regarde d’en haut les plus de cinquante mille Juifs, Roms et homosexuels qui – peu importe combien ils prient – ne trouveront pas la paix mais une mort cruelle et brutale.
Dans « A Long Saturday », récemment publié par Doma-Verlag, George Steiner (1929-2020) pose les choses sans détour : Aujourd’hui « nous savons qu’un homme peut lire Goethe ou Rilke le soir, jouer Bach et Schubert et conduire à Auschwitz pour le travail du matin. » Ainsi, la question, selon le penseur franco-américain, devient douloureusement simple : quel sens la civilisation peut-elle avoir à une époque de telle sauvagerie ?
La question, soutient le penseur franco-américain, devient douloureusement simple : quel sens la civilisation peut-elle avoir à une époque de telle sauvagerie ?
Le livre est le résultat d’une série de conversations entre Steiner et Laure Adler, journaliste, éditrice et auteure française. Dans ce bref panorama de vie, ce grand penseur nous présente des thèmes centraux de son œuvre, tels que le judaïsme, la psychanalyse, la musique, la créativité humaine, le non-sens de l’existence, l’attente d’un salut incertain.
Né en France dans une riche famille juive viennoise, Steiner a passé les premières années de sa vie à Paris puis, en raison de l’avancée nazie, à New York. Il a étudié à l’Université de Chicago, à Harvard et enfin à Oxford. Il a enseigné pendant de nombreuses années à Cambridge et à Genève, ainsi que dans de nombreuses autres grandes universités, et a publié des dizaines de monographies critiques, des centaines d’essais, d’articles et de critiques de livres, ainsi que des romans.
Steiner était un véritable intellectuel public : toujours en alerte et en alerte, toujours en position de combat. Polyvalent, polyglotte et savant, il n’a jamais été donné à personne, mais il n’a jamais été donné à personne non plus.
Il est vrai que Steiner avait des fans enragés, mais aussi de nombreuses critiques. D’un côté se trouvaient ceux qui admiraient son érudition et son raisonnement iconoclaste, de l’autre ceux qui le trouvaient superficiel, arrogant et pas toujours précis dans ses propos.
Quoi qu’il en soit, Steiner possédait un esprit effroyablement flexible et universel. Il a su synthétiser et synthétiser les pensées des titans de l’esprit humain avec une dextérité parfois déconcertante. Oui, ce penseur « interrompu » pouvait commencer un théorème avec Pythagore, passer à Aristote, se référer à Dante, et, après avoir terminé par un point-virgule sur Nietzsche, finir triomphalement par Tolstoï.
En résumé, mis à part quelques moments de gêne potentielle, A Long Saturday a beaucoup à offrir au lecteur tranquille. Steiner nous offre un témoignage inestimable de sa vie et de son œuvre. Dans ce riche témoignage, il partage sa volonté inépuisable d’écouter, d’apprendre, d’essayer de comprendre et de ne pas être laissé à l’avis des autres. Il professe son pessimisme militant. Il reconnaît le caractère aléatoire insondable de l’existence. Après tout, il n’a pas peur d’admettre que, malgré ses efforts, il y a beaucoup de choses chez les gens qu’il n’a finalement jamais compris.
Terminons ici. Dans cet angoissant Tramonto del Sole d’une Europe qui semble épuisée et de plus en plus inhumaine, Steiner nous murmure de faire preuve de courage et de ne pas avoir peur. Il nous invite à persévérer et à traverser courageusement ce long sabbat de l’inconnu et à jeter nos filets « dans les fleuves du nord du futur ».
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