L’énigme de Formose ou pourquoi on se soucie de Taïwan

Les collèges militaires chinois s’ouvrent à Taïwan

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La possibilité d’un conflit à Taïwan n’est pas improbable, et chacun devra prendre position (ou pas ?), comme ce fut le cas lors de l’invasion de l’Ukraine. Quelle est la « position morale » des pays qui respectent le droit international et insistent sur l’autodétermination des peuples en cas d’éventuelle invasion ?

La République libre de Formose a été un bref intermède dans l’histoire de Taiwan lorsque le peuple de l’île a déclaré son indépendance en 1895, quelques mois seulement avant son incorporation à l’empire japonais. Au XIXe siècle, l’autodétermination des peuples est revendiquée et fait l’objet de guerres et de révolutions, dont celle de Grèce. Taïwan, toujours parmi les géants, subit le sort des faibles selon le célèbre dicton de Thucydide. Dans la longue et mouvementée histoire du XXe siècle, Taiwan, ou officiellement la République de Chine, a été le lieu où Chiang Kai-shek et le Parti nationaliste chinois se sont retirés après avoir vaincu le PCC. par Mao – est une expérience d’état particulière. C’est une démocratie fonctionnelle basée sur une économie très dynamique spécialisée dans les produits technologiques à haute valeur ajoutée tels que les puces électroniques. L’avenir de l’île est l’un des enjeux géopolitiques les plus critiques de notre époque et est inextricablement lié à la guerre en Ukraine.

La position officielle de la Chine est que Taiwan devrait être intégrée au territoire chinois, avec un régime de « tolérance » qui coexistera avec le pouvoir désormais absolu du PCC. (« Un pays, deux systèmes »). Alors que le mouvement d’indépendance de Taïwan s’est renforcé ces dernières années, la rhétorique de la Chine s’est intensifiée et, en 2005, elle a adopté une loi autorisant l’utilisation de moyens non pacifiques contre Taïwan si elle cherche à affirmer son indépendance et à faire sécession (auparavant reconnue à Taïwan comme État souverain d’une minorité de pays).

Une solution pacifique à la coexistence des États serait idéale dans un monde idéal, mais nous en sommes loin pour trois raisons. Premièrement, dans le cas de Hong Kong, où elle a renforcé le contrôle du système politique, persécuté les militants pro-démocratie et sévèrement restreint la liberté d’expression, la Chine a clairement indiqué comment elle perçoit la doctrine « un pays, deux systèmes ». Deuxièmement, les tensions géopolitiques entre la Chine et l’Amérique (alliée et auxiliaire de Taiwan) laissent peu de place à une convergence et à une solution pacifique du régime taïwanais. Troisièmement, et surtout, les ambitions américaines dans le Pacifique, les alliances militaires et la stratégie d’encerclement de la Chine créent un sentiment d’insécurité, qui se traduit par une spirale de tension et une course aux armements.

Nous arrivons maintenant à la guerre en Ukraine, qui monopolise légitimement les taux d’intérêt. L’invasion illégale de la Russie est un test alors que la Chine évalue la cohésion et la résilience de l’alliance occidentale en cas d’invasion militaire de Taiwan. Les États-Unis se sont verbalement engagés à soutenir Taïwan si la Chine recourait à la force pour annexer l’île.

Cependant, contrairement à l’Ukraine, qui est en Europe et, à juste titre, une priorité sécuritaire immédiate en Eurasie, Taïwan est encore loin. La Chine profite d’un conflit prolongé en Ukraine en raison de l’engagement des forces militaires et du capital politique de l’OTAN et en particulier des États-Unis, qui fournissent la majeure partie de l’aide militaire. Tant que la guerre continuera, les Américains et les Européens soutiendront l’Ukraine avec du matériel militaire qui ne pourra pas être détourné vers un autre front. Cela explique l’intérêt mitigé de la Chine pour une solution pacifique au conflit ukrainien. Grosso modo, c’est le casse-tête géopolitique qui inquiète les capitales occidentales et craint à juste titre Taïwan qui connaît une montée des tensions et des agressions de la part de la Chine (il y a quelques jours à peine, l’armée chinoise a mené des exercices de blocus de Taïwan avec la participation des Armée de l’Air et Marine).

Quelle est notre position sur cette possibilité et en particulier sur cette question ? Puzzle pour les résolveurs forts. Il n’y a pas de réponse simple. Macron a tenté de préparer le terrain pour le débat en provoquant une tempête dans une interview qu’il a donnée à son retour de Chine. La vision de la France est l’autonomie stratégique de l’Europe, c’est-à-dire le développement progressif de capacités et d’objectifs indépendamment des Etats-Unis et de l’OTAN. Pour les pays d’Europe de l’Est, l’Allemagne et les « faucons » de Washington, c’est une abomination car cela signifie l’effondrement de l’OTAN et donc l’insécurité en Eurasie. Pour la France, qui est de plus en plus ambitieuse, l’Europe peut le faire seule, et l’objectif de Macron est de rompre avec les États-Unis, ce qui peut nous amener à la fermeture contre notre volonté.

La possibilité d’un conflit à Taïwan n’est pas improbable, et chacun devra prendre position (ou pas ?), comme ce fut le cas lors de l’invasion de l’Ukraine. Quelle est la « position morale » des pays qui respectent le droit international et insistent sur l’autodétermination des peuples en cas d’éventuelle invasion ? Pour la Grèce, la question chypriote a un poids particulièrement symbolique, alors qu’elle nous pose un dilemme auquel nous n’avons pas encore répondu si nous essayons d’être à la fois sur le bateau de l’OTAN et de la protection civile européenne à travers l’alliance étroite France.

* Doctorant à l’Institut Universitaire Européen

Aglaë Salomon

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