Le journal belge « Le Soir » analyse dans un article les « neuf choses que nous avons apprises du scandale de corruption et de financement impliquant des députés du Qatar ».
Comme indiqué dans l’article, ça a été une semaine « folle » pour le Parlement européen, depuis qu’un juge belge a perquisitionné les domiciles de députés, d’anciens députés et d’un vice-président du Parlement européen et a ordonné leur arrestation.
1. La sécurité de l’État, la police et le système judiciaire fonctionnent
La révélation du scandale doit être attribuée à la sécurité de l’État belge, qui investit dans une enquête de renseignement sur l’ingérence d’une puissance étrangère en relation avec cinq autres agences européennes à partir de 2021. L’affaire est un succès de l’information judiciaire menée par l’enquêteur Michel Cléz et l’Agence centrale anti-corruption. Mais ce succès ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Le même juge, expert en corruption et blanchiment d’argent, a encore dénoncé fin octobre l’an dernier le manque de moyens humains et techniques de la justice : « On fait des guerres avec des catapultes et on a clairement les criminels mieux équipés devant nous . »
Et il a souligné que « le manque de juges crée une réelle difficulté pour juger les affaires que j’examine. Doit-on craindre le même sort pour les futurs accusés du Parlement européen ? »
2. Pas seulement un film d’espionnage
C’est un coup dur pour ceux qui pensaient que l’ingérence étrangère dans les rouages du pouvoir et de la démocratie n’était qu’un scénario de film de James Bond ou réservé aux grandes personnalités politiques du monde. L’enquête du Parlement européen montre comment deux pays, le Maroc et le Qatar, ont voulu influencer activement les votes des eurodéputés pour servir leurs préoccupations de politique intérieure : Pour le Qatar, la priorité est d’améliorer son image (et donc de gagner des alliés) et pour le Maroc de consolider leurs positions au Sahara Occidental ou dans des accords commerciaux. Ces deux pays ne sont que la (toute petite) pointe d’un iceberg qui a été découvert, qui comprend d’autres puissances, petites ou grandes, avec des réseaux souvent étendus pour faire avancer leurs intérêts économiques, militaires, territoriaux ou politiques. Les pays occidentaux ne sont pas des anges : la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni sont aussi actifs dans ce domaine que la Russie ou les pays arabes, que leurs gouvernements soient de gauche ou de droite.
Le cas du Parlement européen éclaire aussi du côté des ambassades, qu’on oublie souvent sous couvert de diplomatie et d’entretien de bonnes relations avec leur pays d’accueil. À cet égard, ils peuvent mener des opérations d’espionnage et d’ingérence. Après tout, le journaliste Jamal Khashoggi a été assassiné au consulat saoudien en Turquie.
3. La Belgique, une destination stratégique
Si les procureurs belges Ignacio de la Serna et Frédéric Van Leeuw sont sortis de leur silence pour dénoncer le manque de justice, c’est en raison de l’énorme importance que les organisations criminelles ont acquise dans notre société. La Belgique est la plaque tournante des cartels de la drogue, Bruxelles est la plaque tournante de tous les espions du monde en raison de la présence de l’OTAN, mais aussi de tous les lobbyistes en raison de la présence des institutions européennes. Cette semaine, le Parlement européen, dont les actions sont souvent ridiculisées, ou en tout cas minimisées, est apparu comme une cible stratégique pour les puissances étrangères prêtes à dépenser des sommes importantes pour corrompre leurs députés si l’enquête confirme les soupçons. De ce fait, notre pays a un statut très particulier qui empêche toute naïveté géopolitique de son gouvernement et nécessite les moyens d’assurer la sécurité et l’intégrité de ces institutions sur son sol.
4. Les lobbies engendrent des vices
Un déjeuner ici, un petit voyage là-bas, un séminaire en prime : on ne voit pas le mal partout, mais mieux vaut voir s’il ne se cache pas quelque part. Le lobbying est pratiqué par tout le monde, par les entreprises, les ONG, les organisations civiles, qui doivent faire connaître leurs cas à ceux qui prendront les décisions. C’est en soi un canal de communication utile entre les autorités et les citoyens en général. Mais le lobbying est trop fragile pour être laissé aux lobbyistes et aux politiciens. Cette relation doit être façonnée, surtout lorsqu’elle est très déséquilibrée. Il y a des repas que vous achetez et des voyages que vous liez pour la vie. Il faut protéger l’individu de la tentation et donc encadrer tout ce qui peut être encadré ou réduit au strict minimum.
5. L’argent domine souvent le monde
Argent : Plus vous en avez, plus vous en voulez ? Au moins on peut le croire quand on voit que des députés très bien payés avec un statut très privilégié sont corrompus.
Autrement dit, il n’y a pas que les pauvres qui peuvent craquer devant une valise pleine de cash ou une Rolex : la corruption est vieille comme le monde, n’importe qui peut y succomber. D’où la nécessité de les combattre, non pas de faire confiance aux pedigrees ou aux bonnes intentions des « gens », mais d’imposer des règles de contrôle et de transparence et, surtout, leur application. C’est l’un des constats de ces dernières semaines : aucun mécanisme de protection de l’éthique n’a été activé au Parlement européen comme au Parlement wallon. A quoi sert la prolifération des pare-feux si les institutions et leurs dirigeants ne les font pas fonctionner en premier ?
6. Contrôles et contrepoids de base
L’indépendance des journalistes et des juges est une condition nécessaire à l’exercice de leur profession : la seule finalité qu’un journaliste doit remplir est l’exactitude de l’information. Pour le juge, la finalité correspondante est le respect de la loi. La démocratie est basée sur des freins et contrepoids. Si la presse et les magistrats sont à la pointe du « business » européen et wallon, c’est parce que d’autres leviers ont échoué : ils jouent leur rôle contre les dysfonctionnements des forces et des individus.
7. La Realpolitik gagne tout, du moins beaucoup
Alors que toute l’Europe est choquée par les affaires de corruption du Qatar, le président français Macron apparaît dans une loge au stade Al Bayt au nord de Doha lors du match de la France contre le Maroc. Toute la realpolitik est là : non pas parce que cette corruption est dénoncée, mais parce qu’il est prouvé que les responsables sont identifiés, le Qatar ou le Maroc sont bannis des nations européennes. La France, mais aussi la Belgique et bien d’autres ont avant tout besoin du gaz des Emirats.
Les États gèrent leurs besoins avant tout avec « réalisme » dans un échange qui relève souvent plus d’intérêts nationaux bien compris que de morale.
8. Et à la fin le populisme l’emportera ?
C’est un vrai dilemme pour les juges comme pour les journalistes : dénoncer ces tentatives de corruption dans le monde politique, arrêter ceux qui en sont victimes, puis faire la Une avec ces révélations alimente la logique du « tout est louche ». Combien de fois avons-nous entendu des lecteurs ou des proches : « C’est fini, on ne vote plus » ? Le rejet de la politique est particulièrement alimenté par ceux qui abusent de leur suprématie. Le populisme est alimenté par ceux qui nient la complexité des problèmes et des solutions. Se retenir n’est pas facile, mais cela commence par un comportement exemplaire.
9. Enfin, temporairement…
« Parliamentgate » vient d’être écrit. Mais elle appelle désormais à l’ordre : il faut allier empathie et scepticisme, confiance et contrôle, certitude et doute. La malhonnêteté et les mauvaises intentions ne sont jamais sans danger, mais elles sont un moyen de s’en protéger. Avec vigilance.
« Ninja d’Internet. Érudit télé incurable. Amateur passionné de café. Passionné de réseaux sociaux. Penseur général. »